MH370 : Ghyslain Wattrelos ne renoncera jamais

Mille jours, qui tous se ressemblent. Depuis qu’il a perdu Laurence, sa femme, Ambre et Hadrien, leurs enfants de 13 et 17 ans, pour Ghyslain Wattrelos le temps s’est arrêté. Il consacre désormais chacune de ses journées à la recherche de la vérité. Ce dimanche 4 décembre, il vient de débarquer à Madagascar, avec six autres proches de victimes. Il a parcouru plus de 8 000 kilomètres, parce que des vagues ont rapporté sur ces rivages de nouveaux débris qui pourraient appartenir au vol MH370.

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Ghyslain n’est pas le seul à poursuivre inlassablement sa quête. Il y a Grace, Nathan, Tang, Ng, Jiang Hui et Baishan, Chinois ou encore Malaisiens qui ont perdu un père, une mère, une épouse, un mari, un enfant. Tous traquent le moindre indice.

Ghyslain Wattrelos a quitté son job de cadre chez Lafarge pour se consacrer à l’enquête. «Je ne pouvais pas m’investir à 100% tout en travaillant. J’ai un fils de 23 ans qui a perdu sa mère, son frère et sa soeur. Je lui dois des réponses.» Pour le moment, il observe les faits et gestes de l’inspecteur malaisien, M. Khan, qui les a rejoints à Madagascar. L’homme s’apprête à entrer dans la salle du restaurant d’un hôtel d’Ivato, où a été rassemblée une partie de l’inventaire. A cette heure de la nuit, l’endroit, d’habitude fréquenté par les touristes en transit, est désert. Mais M. Khan ne s’attarde pas en salutations inutiles. « C’est vraiment étrange que ce monsieur ait fait le déplacement, murmure Ghyslain Wattrelos. On dirait que la Malaisie change un peu de stratégie. Elle se rend peut-être compte qu’elle n’aura pas d’aide des gouvernements extérieurs pour avancer. Australie, Etats-Unis, Grande-Bretagne… je suis convaincu que ces pays nous cachent des choses.»

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Si la Malaisie est officiellement chargée de l’enquête, c’est l’Australian Transport Safety Bureau (ATSB), équivalent du BEA français, qui coordonne les recherches. La nuit du 8 mars 2014, le vol MH370 a coupé toutes ses communications, mais les «pings» d’Inmarsat ont continué d’être émis. Il s’agit de simples signaux techniques, qui n’ont pas vocation à déterminer la trajectoire d’un vol. Encore moins à devenir de véritables «pièces à conviction ». Mais le système est le dernier à avoir fonctionné, continuant à échanger des données via un satellite géostationnaire, jusqu’à la disparition du Boeing. Un périmètre de recherche a ensuite été défini.

“En Malaisie après la disparition de l’avion, c’était vraiment la sidération” 

A Paris, Jean-Marc Garot, ancien directeur du Centre d’études de la navigation aérienne français et du centre expérimental Eurocontrol, planche chaque jour sur cette énigme. Comme d’autres passionnés d’aéronautique, il a retourné les données techniques dans tous les sens. «Le seul scénario, non imaginé à ce jour, est qu’un technicien ait déconnecté le transpondeur ainsi que le système de transmission de données des moteurs, l’Acars, puis qu’il ait pris les commandes. Il s’ensuit un détournement raté qui n’a pas été revendiqué. Pourquoi? Parce que le procédé est suffisamment complexe pour bluffer la terre entière: un mode opératoire non élucidé, donc réutilisable.» Jean-Marc Garot échange ses théories avec Jean-Paul Troadec, ex-directeur du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) que l’histoire poursuit, lui aussi. «Je suis allé en Malaisie après la disparition de l’avion, c’était vraiment la sidération. Certains m’ont dit: ‘Qu’est-ce qui nous arrive, on n’a pas d’ennemis!’ Ils étaient un peu perdus. Ils ont continué à chercher en mer de Chine, alors que leurs radars militaires avaient déjà détecté que l’avion se dirigeait vers le détroit de Malacca… La raison pour laquelle cette identification n’a pas été officialisée plus tôt n’est pas très claire.»

Aujourd’hui, si certains ont encore des doutes sur les zones de recherche, c’est aussi parce que les signaux Inmarsat n’ont pas été conçus pour repérer un avion. Lorsqu’on lui parle d’Inmarsat, Ghislain Wattrelos esquisse un sourire ironique: «Cette société est étroitement liée aux services de renseignement, il y a de la rétention d’informations. Trois débris ont été formellement identifiés dans la zone où je suis en ce moment. Ça, c’est du concret.» L’ATSB a persisté à fouiller au sud du 7e arc de recherche. Il a fallu attendre le 20 décembre pour qu’un nouveau rapport australien suggère enfin de rechercher l’épave plus au nord. Sur la trentaine de débris déjà inventoriés, seuls trois ont été officiellement attribués au Boeing disparu. Or, ces trois-là ont été effectivement retrouvés dans cette immense zone de l’océan Indien, autour de l’île Maurice, sur l’île de La Réunion et un autre sur l’île Pemba, au large de la Tanzanie. Ce fragment, un volet extérieur droit, a même fait l’objet d’une attention particulière dans un récent rapport de l’ATSB, car il était en position rétractée. Le MH370 n’aurait donc pas cherché à amerrir et, selon d’autres données, aurait chuté en spirale à grande vitesse. Il y a une chose sur laquelle les experts semblent s’accorder : celle de l’hypothèse d’un acte délibéré. Mais lequel?

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A l’hôtel, M. Khan distribue des gants. La fibre de verre des morceaux de débris pourrait irriter la peau. Sur la table sont mises à disposition des cartes couvertes d’une multitude de points blancs, les endroits où des flaperons, ailes, ailerons, pourraient encore venir s’échouer selon les données qu’un océanographe, professeur d’université en Australie, Charitha Pattiaratchi, a transmises aux familles.

L’universitaire a travaillé pendant des mois sur une modélisation de dérive de débris. En août 2014, son travail indiquait déjà une possible concentration autour de l’île de La Réunion. La découverte du flaperon un an plus tard lui a donné raison. Blaine Gibson lui aussi se range du côté des données du professeur. Cet ancien avocat américain, tour à tour archéologue, aventurier et homme d’affaires, se passionne pour le mystère du MH370: «Quand le flaperon a été retrouvé sur l’île de La Réunion, en juillet 2015, j’ai su que l’avion s’était écrasé à l’ouest de l’océan Indien. Depuis, je cherche sans relâche. On tente de me décrédibiliser, on m’a même accusé de déposer moi-même les débris. Mais je continue de chercher.» Comme Blaine Gibson, aucune des personnes présentes dans l’hôtel ne peut se résoudre à ranger la disparition parmi les cas impossibles à élucider. L’avocate malaisienne Grace Subathirai Nathan a perdu sa mère, Anne Daisy. Elle est devenue la porte-parole de Voice 370, l’association des proches de disparus. Elle aussi est convaincue que la clé de l’énigme peut se trouver ici. M. Khan est pressé. Tôt le lendemain, il doit récupérer d’autres pièces à porter à analyser. Pas de quoi empêcher Ghyslain Wattrelos de garder les yeux rivés sur son Smartphone. De nouveaux messages lui arrivent en permanence, via WeChat, WhatsApp, Facebook… «Entre familles, nous sommes en lien constant et cela depuis deux ans et demi. Mais je reçois aussi beaucoup de messages de gens que je ne connais pas. Une personne affirme détenir des informations confidentielles. Une autre m’envoie un mot pour m’inviter à me méfier de quelqu’un. Pourquoi? Je vais lui demander de m’en dire plus. Ça s’arrêtera sans doute là.»

“Il faut créer une chaîne pour retrouver les débris”

Ghyslain doit aussi se lever tôt le lendemain. Il veut se rendre à Tamatave, une ville portuaire à l’est de Madagascar. Une nouvelle nuit d’insomnie l’attend. Depuis le 8 mars 2014, il a perdu le sommeil. Cela lui est égal, il dit qu’il dormira dans l’avion. C’est le seul endroit où il arrive à retrouver un peu de sérénité, assis contre un hublot. A Tamatave, il enchaînera les conférences de presse, les rendez-vous avec le consul de région, les associations, le maire, les pêcheurs. «Il faut créer une chaîne pour retrouver les débris», répète-t-il. Les discours sont les mêmes, la motivation est intacte. Et ce n’est pas ici qu’elle risquera de faiblir. Ghyslain Wattrelos se souvient du jour où il a posé le pied à Madagascar pour la première fois : c’était il y a trente ans, un voyage en amoureux avec Laurence. Aucun de leurs enfants n’était encore né… Son téléphone l’interrompt.

C’est Blaine Gisbon. On vient de découvrir un morceau d’épave à Riake Beach, à 122 kilomètres de là: sa structure en nid-d’abeilles fait penser à celle d’un Boeing 777. Le 16 août dernier, au cours de son expédition Madatrek, l’écrivain-voyageur Alexandre Poussin avait fait une semblable découverte sur une autre plage, située entre Tamatave et Foulpointe.

« Espérons que ces pièces ne se retrouvent pas dans de mauvaises mains. Le flaperon ramassé sur l’île de La Réunion a été transmis à la justice française. Je refuse qu’on le remette aux autorités malaisiennes. On ne sait pas en qui on peut avoir confiance», confie Ghyslain Wattrelos. Il épluche des coupures de presse : «Vous voyez cette capture d’écran de la vidéo d’embarquement, publiée il y a quelques mois ? C’est une photo truquée.» Depuis plus de mille jours, il se bat contre l’oubli. De plus en plus convaincu qu’il n’a pas que des alliés dans ce combat. «Un avion ne disparaît pas comme ça. Pour moi, il a été abattu par un Etat qui est aujourd’hui dans l’impossibilité de le reconnaître.»

Le site de l’association des familles de victimes du MH370 : http://mh370france.com/

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